. UN FILM DE JONAS GASTON & LEON LUYCKX .

EN ÉCRITURE

NOTE D’INTENTION


Mon fils Gaston a 12 ans. Il est né avec une jambe plus courte que l’autre. Pendant toute sa croissance, on a opéré sa jambe avec l’objectif d’atteindre un équilibre dans la norme. Différents allongements du fémur, du tibia et du péroné, des fractures du tibia et du fémur, des opérations pour tendre sa jambe qui a un problème de flexion, des appareillages Ilizarov, des plâtres, et de la rééducation 5 fois par semaine.

Parallèlement à ce ce chemin parcouru par mon fils, ils ont été nombreux, de par le monde, à se battre pour déstabiliser les ordres établis, ou chercher de nouvelles formes d’équilibre : les mouvements étudiants au Québec et leur grève contre la hausse des frais de scolarité, des jeunes comédiens qui ont investi un théâtre abandonné à Liège en revendiquant un accès à la culture pour tous, celles et ceux qui ont créé la ZAD de Notre-Dame des Landes pour protéger une zone riche en biodiversité là où devait être construit un aéroport, celles et ceux qui défilent pour le climat en Belgique dans l’espoir de faire bouger les gouvernements qui tardent à prendre des décisions fortes, les Gilets Jaunes qui, au départ de la hausse des carburants, revendiquent une plus grande considération du peuple… Tous ces combats, qui durant 10 ans ont tenté de faire bouger les lignes, pour parfois y arriver.

Faire un film c’est pour moi comme apprendre à marcher à chaque projet. On trébuche souvent et puis tout à coup, après avoir rampé sur le ventre, sur les fesses, sur les genoux, on finit par se mettre sur nos deux jambes et marcher de mieux en mieux. Gaston a trouvé par lui-même des façons alternatives de se déplacer. C’était sa marche à lui. Personne n’a pu la lui apprendre. Son équilibre est passé par la médicalisation, il s’est travaillé avec des opérations. Depuis sa première opération à 3 ans jusqu’à aujourd’hui, il aura vécu 15 opérations pour trouver un équilibre qui sera unique.

Au début, je filmais souvent Gaston à différentes étapes de sa croissance et je me demandais pourquoi je voulais le montrer à des spectateurs, pourquoi partager ces questions personnelles avec d’autres que je ne connais pas. Jusqu’il y a peu, je ne savais pas trop si c’était juste pour moi une façon de traverser cette période ou si c’était pour lui que je voulais faire ce film. Le texte ci-dessous pourrait être une voix off qui répond en partie à cette question.

« Le film devait commencer sur un travelling. Ceux que l’on voit dans la plupart des documentaires. C’est l’idée d’une route que l’on a prise, d’une direction et de ses multiples croisements. Avant que Gaston ne se fasse opérer pour la première fois, on avait été voir un kinésiologue avec lui et sa mère ; u n ancien garagiste qui s’était découvert un don, une ultra sensibilité aux énergies. À la fin de la séance, il nous avait dit : Je ne sais pas vous en dire plus, mais surtout ne faites pas opérer votre fils. Tu ressors de là avec plus d’interrogations que de réponses… Et puis il a fallu décider, faire un choix en tant que parents parce que Gaston était trop petit. À l’époque, nous pensions que grâce aux opérations il finirait par avoir les deux jambes de la même longueur. Nous savons à présent que ce ne sera jamais le cas.

Alors que j’écris ces mots, nous avons choisi de faire une dernière opération pour essayer de tendre la jambe de Gaston, ce qui lui permettra de porter une prothèse et de marcher sans béquilles. Après une longue discussion avec notre fils, nous avons décidé de ne plus poursuivre les opérations d’allongement. Nous n’avons plus envie de voir notre fils souffrir pour tendre vers une « normalité » qu’il n’arrivera probablement pas à rejoindre. Je repense à ce kinésiologue et je me dis que nous n’aurions peut-être jamais du opérer. Nous avons pris une direction, nous ne saurons jamais si c’était la bonne, nous avons juste pris cette direction-là. En même temps c’est quoi être « normal » ? »

Jonas Luyckx